Les réponses des employeurs aux pénuries de main-d’œuvre
René Morissette
Au cours des derniers trimestres, les taux d’emplois vacants ont atteint des niveaux records au Canada. Le vieillissement de la population, la diminution des flux d’immigration pendant la pandémie de COVID-19 et la réorientation professionnelle des personnes qui travaillaient auparavant dans des secteurs durement touchés par le ralentissement économique ont été cités comme des facteurs potentiels de l’augmentation des postes vacants.
Alors que le marché du travail se remet de la pandémie de COVID-19, il est impératif d’évaluer les stratégies que les employeurs canadiens prévoient utiliser au cours des prochains mois pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre. Ces stratégies ont des répercussions importantes sur les coûts et la rentabilité des entreprises, sur les taux de rémunération, les conditions de travail et les possibilités de formation des travailleurs canadiens, et sur les boucles salaires-prix qui alimentent l’inflation.
Les entreprises qui prévoient des pénuries de main-d’œuvre au début de 2022 sont beaucoup plus susceptibles de déclarer qu’elles commenceront à augmenter les salaires des employés nouveaux et existants la même année que les autres entreprises qui ne prévoient pas de pénuries de main-d’œuvre. Elles étaient également plus susceptibles de déclarer qu’elles offriraient des modalités de travail flexibles et augmenteraient le capital humain de leur main-d’œuvre. Conformément à ces différences, la croissance des salaires moyens prévue en 2022 dans les établissements prévoyant des pénuries de main-d’œuvre est, en moyenne, plus élevée (6,1 %) que parmi les autres établissements (3,6 %).
Parmi toutes les entreprises du secteur privé considérées dans cette étude, 38 % s’attendent à ce que les pénuries de main-d’œuvre constituent un obstacle pour l’organisation au début de 2022 au cours des trois prochains mois. Les établissements les plus susceptibles de déclarer que les pénuries de main-d’œuvre constituaient un obstacle se trouvaient dans les secteurs de la construction, de la fabrication, du commerce de détail et de l’hébergement et de la restauration. Les estimations pondérées du CSBC indiquent que les établissements signalant les pénuries de main-d’œuvre comme un obstacle représentaient 60 % du total des emplois rémunérés des établissements considérés dans cette étude.
Ces entreprises prévoient de mettre en œuvre des mesures de recrutement, de rétention et de formation du personnel en 2022. Près de la moitié d’entre elles (46 %) prévoient d’augmenter le salaire des nouveaux employés, soit quatre fois le taux de 11 % rapporté par les autres entreprises. Près des deux tiers (64 %) prévoient d’augmenter les salaires des employés existants, contre 34 % des autres entreprises. Douze pour cent prévoient d’offrir des primes à la signature ou des incitations aux nouveaux employés, soit quatre fois plus que le taux de 3 % rapporté par les autres entreprises.
Une stratégie évidente consiste à augmenter les salaires et les avantages sociaux des employés nouveaux et existants. Parmi les autres approches, on peut citer l’introduction de modalités de travail souples — comme des horaires flexibles ou la possibilité de faire du télétravail — ou la mise en œuvre de mesures qui augmentent le capital humain des nouveaux employés. Par exemple, les entreprises peuvent encourager les nouveaux employés à participer à une formation en cours d’emploi ou à acquérir des microcrédits. Elles peuvent également offrir un soutien pour les frais de scolarité des cours ou des programmes. La mesure dans laquelle les employeurs canadiens s’attendent à ce que les plans de pénurie de main-d’œuvre mettent en œuvre des mesures spécifiques plus souvent que les autres employeurs est actuellement inconnue et mérite une enquête.
En plus d’augmenter les salaires et les avantages sociaux des employés nouveaux et existants, les entreprises qui s’attendent à des pénuries de main-d’œuvre au début de 2022 prévoient mettre en œuvre plusieurs mesures au cours de cette année pour s’occuper du recrutement, de la rétention et de la formation du personnel. Leur capacité à utiliser des stratégies spécifiques, comme l’offre de télétravail ou d’horaires flexibles, n’est pas uniforme et dépend de la nature des emplois qu’elles offrent et des contraintes technologiques et budgétaires auxquelles elles font face.
Conformément au fait que les entreprises qui s’attendent à des pénuries de main-d’œuvre sont beaucoup plus susceptibles d’envisager d’augmenter les salaires de leurs employés nouveaux ou existants en 2022, la croissance des salaires prévue en 2022 est plus élevée que celle des autres entreprises. Enfin, des données canadiennes récentes indiquent que les augmentations des salaires réels peuvent potentiellement attirer davantage de jeunes sur le marché du travail, atténuant ainsi certaines des pénuries de main-d’œuvre que les employeurs canadiens déclarent connaître.
Les entreprises qui prévoient des pénuries de main-d’œuvre à court terme sont, en moyenne, quatre points de pourcentage plus susceptibles que les autres entreprises d’offrir la possibilité de travailler à distance au cours des 12 prochains mois. Toutefois, la différence entre les deux groupes d’employeurs varie considérablement d’une industrie à l’autre. Dans les secteurs de l’information et de l’industrie culturelle, de la finance et de l’assurance, et des services professionnels, scientifiques et techniques, les établissements qui s’attendent à des pénuries de main-d’œuvre sont de 27 à 38 points de pourcentage plus susceptibles d’offrir le télétravail que les autres établissements. Dans les secteurs où la plupart des emplois ne peuvent être exercés à domicile, la différence correspondante s’élève à cinq points de pourcentage.
Des différences interindustrielles importantes sont également observées en ce qui concerne l’offre d’horaires flexibles. Dans les secteurs de l’information et de l’industrie culturelle, de la finance et des assurances, ainsi que des services professionnels, scientifiques et techniques, les établissements qui s’attendent à des pénuries de main-d’œuvre sont de 28 à 41 points de pourcentage plus susceptibles de proposer des horaires flexibles que les autres établissements.
En revanche, la différence observée dans le secteur manufacturier s’élève à 9 points de pourcentage. Une partie des différences observées entre les entreprises manufacturières et les employeurs des industries de services pourrait refléter les contraintes de programmation auxquelles les entreprises manufacturières sont confrontées lorsqu’elles tentent d’optimiser l’utilisation des machines et des équipements.